Lily Rose | A Little Sunray

{ ѕнυт ! тι¢ тα¢ fαιт ℓα ρєи∂υℓє ... }

Dehors, on pouvait encore entendre le bruit des braises dansant dans le jardin. Le dernier barbecue de la saison avait pris fin dans l'allégresse d'un dimanche après midi. Le soleil avait été au rendez vous, mais très vite, le ciel s'était couvert en fin de soirée et menaçait dangereusement Londres d'un gros orage. Le vent devenait de plus en plus vivace, septembre avait remplacé Août, et déjà les feuilles orangées virevoltaient à travers l'obscurité. La maison des Colman s'était endormie, depuis une heure environ. Mais comme chaque nuit, le train du sommeil ne s'arrêtait pas au seuil des paupières de Rubis, qui restaient inexorablement ouvertes sur le morne plafond de sa chambre. L'homéopathie, le lait, les berceuses, les histoires, tout cela, ses parents avaient essayé, en vain. Depuis l'âge de sept ans, l'insomnie de la fillette était un véritable fléau, qui ne se dissipait que lorsque les rayons du soleil caressaient de nouveau le ciel. L'hiver lui paraissait interminable.

Mais cette fameuse nuit, Rubis se résigna à chercher un sommeil perdu de toute façon. Prenant soin de vérifier que de la chambre de ses parents ne s'élevaient que d'amples ronflements, la petite fille rejoignit sa chambre, et plaça une poupée sous ses couettes, au cas où... Attrapant Sarah, elle descendit l'escalier de la demeure familiale, à tâtons dans le noir, veillant à ne faire aucun bruit. Vêtue d'une jupe en jean et d'un blouson blanc, elle entreprit de retrouver son vieux vélo dans le garage. Finalement, la guimbarde fut découverte derrière un sac de charbon de bois...

Filant à travers rues et ruelles, Rubis attirait les regards intéressés de bon nombre d'ivrognes, déambulant d'une démarche chaloupée sur les trottoirs déjà parsemés des stigmates de l'alcool. C'était un véritable fléau à Londres, et rien ne semblait pouvoir parvenir à stopper ces excès meurtriers. Mais la balade nocturne de Rubis était bien moins dangereuse que prévu, et très vite, les bâtiments s'effacèrent, laissant place à quelques maisons éparses, isolées et désertes. Son petit sac à dos à fleur ballotait dans son dos comme un métronome à chaque coup de pédale de l'engin qui filait à vive allure, glissant sur le sombre manteau de la nuit avec une insolence proche de la folie.

La peur ? Rubis ne l'éprouvait que lorsque l'astre enveloppait la terre de ses rayons, seule la Lune lui apportait le réconfort de l'obscurité où les blessures sont invisibles, et semblent moins douloureuses lorsqu'elles sont baignées d'argent. Bientôt, l'orée d'une minuscule forêt apparut au loin, un panneau de bois illisible annonçait son appartenance. Qu'importe, Rubis connaissait parfaitement cet endroit, et rien ne la dissuaderait d'arpenter une fois encore ces terres qui n'appartenaient qu'à elle.

La petite sonnette du vélo d'enfant retentit dans le silence de la nuit lorsque la fillette lâcha l'engin sur le sol. Le chemin devenait vite impraticable, et la suite de cette venelle devait se faire à pied. Marchant d'un pas félin et assuré, la donzelle se rapprochait de sa destination avec envie. Tel une idylle parmi les arbres, ce lieu secret lui assurait la tranquillité dont elle avait besoin. Le vent s'insinuait dans les feuilles, offrant à l'atmosphère une douce mélodie d'automne qui charriait les différentes odeurs d'une serre, non loin de là : rose, lys, fraises et framboises, étaient autant d'arômes qui chatouillaient les sens de la gamine.

Finalement, après une série de péripéties, le refuge de Rubis apparut enfin. Sorte d'avancée de champs dans les bois, c'était une parcelle d'herbe verte délimitée par de grands pins bleus que le temps avait façonné à la manière d'un artiste. Un large tronc recouvert d'une mousse émeraude trônait en son centre, à côté d'une jeune pousse d'érable qui offrait un magnifique parasol. Rubis se plaisait ainsi, dans la simplicité de la nature, dans sa pure sagesse et sa parure simple et délicate. On peut faire confiance à un animal, pas à un homme. C'était l'une des leçons les plus précieuses que la vie lui avait inculquée. La fillette s'avança d'un pas léger vers son siège, et s'y laissant négligemment tomber. Elle ouvrit alors son petit sac à dos, et en sortit Sarah, qu'elle déposa avec toutes les précautions du monde à ses côtés, appuyée contre l'érable. Et puis, la touche finale à cette nature morte à l'enfant, Rubis retira l'étui de violon, duquel elle sortit l'instrument.



Après quelques instant, l'archet frôla délicieusement les cordes du faux Stradivarius. Cette complainte irlandaise pleine d'humour lui avait été enseignée par sa grand mère, qui maniait à merveille ce divin instrument. Secouant la nuit de cet air parfaitement interprété, Rubis éveillait la curiosité du monde nocturne...